LE FILIOQUE : UNE
QUESTION QUI DIVISE L’EGLISE ?
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de la Contenu III. Considérations
théologiques I.
Les raisons de la division
II.
Considérations d’ordre historique
Au cours des premiers siècles
Au cours des
premiers siècles de
l’Église, les traditions latines et grecques ont rendu témoignage à la
même foi
apostolique, mais ont décrit de manières différentes la relation entre
les
Personnes de la Trinité. La différence reflétait en général certains
défis
pastoraux de l’Église en Occident et en Orient. Le Credo de Nicée (325)
articulait
la foi de l’Église face à l’hérésie arienne qui niait la pleine
divinité du
Christ. Au cours des années qui suivirent le Concile de Nicée, l’Église
devait encore
faire face à des opinions contestant aussi bien la pleine divinité et
la pleine
humanité du Christ que la divinité du Saint-Esprit. Face à ces défis,
les pères
au Concile de Constantinople (381) ont confirmé la foi de Nicée et ont
proposé
un Credo plus explicite, basé sur celui de Nicée, mais avec des ajouts
significatifs. La confession élargie de ce Credo concernant le
Saint-Esprit est
particulièrement digne d’attention. Elle est nettement influencée par
le traité
classique « Du Saint-Esprit » de Basile de Césarée,
probablement
achevé quelques six ans auparavant. Le Credo de Constantinople a
confessé la
foi de l’Église dans la divinité de l’Esprit en disant : « et dans
le
Saint-Esprit, Seigneur et Vivificateur, qui procède (ekporeuetai) du
Père ; qui
avec le Père et le Fils est adoré et glorifié, qui a parlé par les
prophètes ».
Bien que le Credo ait évité d’appeler l’Esprit explicitement
« Dieu »,
ou d’affirmer, comme l’avaient fait Athanase et Grégoire de Nazianze,
que
l’Esprit est « de la même substance » que le Père et le Fils
(affirmations qui sans nul doute auraient pu paraître extrêmes à
certains
contemporains de grande prudence théologique), le Concile cependant
avait
l’intention de confesser par ce texte la foi de l’Église dans la pleine
divinité
de l’Esprit Saint, en s’opposant notamment à ceux qui considéraient
l’Esprit
comme une créature. Le Concile, dans le même temps, ne se préoccupait
pas de
spécifier le mode de l’origine de l’Esprit, ou de spécifier les
relations de
l’Esprit avec le Père et le Fils. Les actes du Concile de
Constantinople sont
perdus. Mais le texte de son Credo est cité et formellement reconnu
comme
normatif, tout comme le Credo de Nicée, dans l’énoncé de foi formulé au
Concile
de Chalcédoine (451). En moins d’un siècle le Credo de 381 a fini par
devenir
la norme dans la définition de la foi, et au début du sixième siècle,
il était
même proclamé au cours de l’Eucharistie à Antioche, Constantinople et
en
d’autres régions de l’Orient. Dans certaines régions des Églises
d’Occident aussi
le Credo fut introduit dans l’Eucharistie, peut-être à partir du 3e
Concile de Tolède
en 589. Insertion du Credo dans l’Eucharistie
Le Credo
cependant n’a pas été
inséré dans l’Eucharistie à Rome avant le 11e siècle, ce qui a eu une
certaine
importance dans le processus de l’acceptation officielle par l’Occident
du
Filioque. (4)
Il n’existe aucune attestation claire du processus qui a conduit à
insérer
l’expression Filioque dans le Credo de 381 avant le 6e siècle. L’idée
que
l’Esprit procède « du Père par le Fils » est soutenue par un
certain
nombre de théologiens latins anciens, comme faisant partie de leur
insistance
sur l’unité ordonnée des trois Personnes dans l’unique Mystère divin
(par ex. Tertullien,
Adversus Praxean 4 et 5). Tertullien, écrivant au début du 3e siècle,
souligne
que le Père, le Fils et le Saint-Esprit partagent une même substance
divine,
une même qualité, une même puissance (ibid. 2), qu’il conçoit comme
découlant
du Père, et transmis par le Fils à l’Esprit (ibid. 8). Hilaire de
Poitiers au
milieu du 4e siècle parle de l’Esprit à la fois comme étant simplement
« du
Père » (De Trinitate 12, 56), et comme « ayant le Père et le
Fils
comme source » (ibid. 2, 29). Dans un autre passage, Hilaire fait
référence aux paroles de Jésus « Tout ce que le Père a est à moi ;
c’est
pourquoi j’ai dit que (l’Esprit) prendra de ce qui est à moi et vous
l’annoncera »
(Jn 16, 15), et se demande si « recevoir du Fils est la même chose
que
procéder du Père » (ibid. 8, 20). Ambroise de Milan, écrivant dans
les
années 380, soutient ouvertement que l’Esprit « procède du
(procedit a)
Père et du Fils » sans être jamais séparé de l’un et de l’autre
(Du
Saint-Esprit 1, 11, 20). Mais aucun de ces écrivains ne consacre une
réflexion
explicite au mode de l’origine de l’Esprit. Tous sont plutôt préoccupés
à
souligner l’égalité de dignité des trois Personnes divines comme Dieu,
et tous
reconnaissent que le Père seul est la source de l’être éternel de Dieu.
L’emploi le plus ancien
L’emploi le
plus ancien de
l’expression Filioque dans un contexte de Credo est la profession de
foi
formulée pour le roi wisigoth Reccarède au Concile local de Tolède en
589. Ce
Concile régional a anathématisé ceux qui n’acceptaient pas les décrets
des
quatre premiers Conciles oecuméniques (canon 11), et ceux qui ne
confessaient
pas que le Saint-Esprit procède du Père et du Fils (canon 3). Il semble
que les
évêques espagnols et le roi Reccarède croyaient à ce moment que
l’équivalent du
Filioque en grec faisait partie du Credo primitif de Constantinople, et
apparemment
ils comprenaient que le Filioque s’opposait à l’arianisme en affirmant
la
relation intime entre le Père et le Fils. Sur l’ordre de Reccarède on
se mit à
réciter le Credo au cours de l’Eucharistie en suivant la pratique
orientale.
D’Espagne l’emploi du Credo avec le Filioque se répandait en Gaule.
Presque un
siècle après, un Concile d’évêques anglais se tenait à Hatfield en 680,
présidé
par l’archevêque Théodore de Cantorbéry, un byzantin auquel le pape
Vitalien
avait demandé de servir en Angleterre. Ce Concile, d’après Bède le
Vénérable
(Hist. Eccl. Gent. Angl. 4, 15 ‹17›), professait explicitement sa foi
comme
conforme aux cinq Conciles oecuméniques, et déclarait également que le
Saint-Esprit procède « de manière ineffable
(inenarrabiliter) » du
Père et du Fils. Emploi croissant du Filioque
À l’orée du 7e
siècle, trois
facteurs liés entre eux ont pu contribuer à une tendance croissante à
inclure
en Occident le Filioque dans le Credo de 381 et à la croyance de
certains
latins qu’il faisait de fait partie du Credo original. En premier lieu,
un
courant important dans la tradition patristique occidentale, repris
dans les
oeuvres d’Augustin (354-430), a parlé de la procession de l’Esprit du
Père et
du Fils (par ex. De la Trinité 4, 29 ; 15, 10. 12. 29. 37 ; nous
parlerons plus
loin de la signification et de la terminologie de cette tradition). En
second
lieu, tout au long des 4e et 5e siècles, un certain nombre de Credos
ont
circulé dans les Églises, souvent dans les contextes du baptême ou de
la
catéchèse. Le Credo de 381 n’était pas considéré comme la seule (5)
expression
contraignante de la foi apostolique. En Occident, le Credo des Apôtres,
un
Credo baptismal ancien, était le plus répandu, et il contenait une
simple
affirmation de foi dans le Saint- Esprit sans plus. En troisième lieu
cependant, et de grande importance pour la théologie occidentale
ultérieure, il
y avait le soi-disant Credo athanasien (Quicunque). Les Occidentaux
pensaient
qu’il avait été composé par Athanase d’Alexandrie, mais probablement il
a son
origine en Gaule vers 500 et est cité par Césaire d’Arles (+ 542). Ce
texte
inconnu en Orient a eu une grande influence en Occident jusqu’aux temps
modernes. Très dépendant de la manière dont Augustin présente la
Trinité, ce
Credo affirme clairement que l’Esprit procède du Père et du Fils. Une
christologie
fortement anti-arienne constitue un accent primordial de ce Credo :
parler de
la procession de l’Esprit du Père et du Fils signifiait que le Fils
n’était pas
inférieur au Père quant à la substance comme le tenaient les ariens.
Sans aucun
doute, l’influence de ce Credo a encouragé l’emploi du Filioque dans la
version
latine du Credo de Constantinople en Europe occidentale, du moins à
partir du
6e siècle. Le credo et Charlemagne
Vers la fin du
8e siècle,
l’emploi du Credo de 381 avec l’addition du Filioque est devenu matière
à
controverses aussi bien dans les discussions entre les théologiens
francs et le
siège romain, que dans la rivalité croissante entre les cours
carolingienne et
byzantine, qui prétendaient l’une et l’autre être les héritières
légitimes de
l’empire romain. Dans le sillage de la lutte iconoclaste à Byzance, les
Carolingiens saisirent cette occasion pour mettre en question
l’orthodoxie de Constantinople.
Ils accordèrent une grande importance à l’expression Filioque, qu’ils
se mirent
à considérer comme la pierre de touche de la foi trinitaire
authentique. Une
intense rivalité politique et culturelle entre Francs et Byzantins a
fourni
l’arrière-plan pour les débats sur le Filioque tout au long des 8e et
9e
siècles. Charlemagne avait reçu une traduction des décisions du 2e
Concile de
Nicée (787). Le Concile avait approuvé définitivement l’antique
pratique de la
vénération des icônes. Mais la traduction des actes en latin était
défectueuse.
Charlemagne envoya une délégation au pape Hadrien Iier (772-795) pour
faire
part de son inquiétude. Parmi les points litigieux, les légats de
Charlemagne prétendaient
que le patriarche Taraise de Constantinople lors de son installation
n’avait
pas adhéré à la foi de Nicée et professé que l’Esprit procède du Père
et du
Fils, mais avait professé sa procession du Père par le Fils (Mansi
13,760). Le
pape repoussa vigoureusement la protestation de Charlemagne en montrant
amplement que Taraise et le Concile, sur ce point et sur d’autres,
avaient
maintenu la foi des Pères (ibid., 759-810). Après cet échange de
correspondance, Charlemagne fit écrire les soi-disant « Livres
Carolingiens » (791-794). Cet ouvrage contestait les positions et
du
Concile iconoclaste de 754 et du Concile de Nicée de 787 sur la
vénération des
icônes. Une nouvelle fois, en raison d’une traduction défectueuse, les
Carolingiens comprirent mal les décisions de ce dernier Concile. Les
« Livres
Carolingiens » mettaient aussi en avant la vision carolingienne du
Filioque. Avec l’argument que l’expression Filioque faisait partie du
Credo de
381, ils réaffirmaient la tradition latine que l’Esprit procède du Père
et du Fils,
et rejetaient comme erroné l’enseignement que l’Esprit procède du Père
par le
Fils. Bien que les
Actes du Synode
local de Francfort (794) n’existent plus, d’autres témoignages
indiquent qu’il
a été convoqué pour combattre une variante de l’hérésie
« adoptianiste »
qu’on estimait prendre essor en Espagne. L’accent mis par plusieurs
théologiens
espagnols sur l’humanité intégrale du Christ semblait impliquer, aux
yeux du
théologien de la cour Alcuin et d’autres, que l’homme Jésus aurait été
« adopté »
par le Père au moment de son baptême. En (6) présence de
Charlemagne ce concile,
que le souverain semble avoir voulu faire reconnaître comme
« oecuménique »
(voir Mansi 13, 899-906), a approuvé des Libri Carolini en affirmant,
afin de
maintenir la pleine divinité de la personne du Christ, que l’Esprit
procède du
Père et du Fils. Tout comme à la fin du 6e siècle la formulation latine
du
Credo, selon laquelle l’Esprit procède du Père et du Fils, était promue
pour
combattre une hérésie christologique présumée. Quelques années plus
tard un
autre concile local, lui aussi dirigé contre « l’adoptianisme
espagnol »
se tenait à Fréjus-Friuli (796-797). Paulin d’Aquilée (+ 802), un
associé
d’Alcuin à la cour de Charlemagne, y défendit l’emploi du Credo avec le
Filioque comme un des moyens pour s’opposer à l’adoptianisme. Paulin,
de fait,
reconnut que le Filioque était une addition au Credo de 381. Mais il la
défendait en arguant qu’elle ne s’opposait ni au sens du Credo ni à
l’intention
des Pères. L’autorité en Occident des Conciles de Fréjus et de
Francfort ont
fait que le Credo de 381, avec le Filioque, est entré largement en
usage dans
l’enseignement et la célébration de l’Eucharistie dans les Églises
d’Europe
latine. Les différentes traditions liturgiques touchant le Credo se
sont
rencontrées au début du 9e siècle à Jérusalem. Des moines occidentaux
qui
employaient le Credo latin avec le Filioque furent dénoncés par leurs
frères
orientaux. Les moines occidentaux, s’adressant au pape Léon III pour
recevoir
un conseil, citaient comme leur modèle l’usage dans la chapelle de
Charlemagne
à Aixla- Chapelle. Le pape Léon répondit en adressant une lettre à
« toutes
les Églises de l’Orient ». Il y déclara sa foi personnelle que le
Saint-Esprit procède éternellement du Père et du Fils. Dans sa réponse,
le pape
ne distinguait pas entre son interprétation personnelle et la
légitimité de l’addition
au Credo, bien que plus tard il s’opposerait à cette addition dans les
liturgies célébrées à Rome. Charlemagne repris la question soulevée par
la
controverse de Jérusalem et demanda à Théodulphe d’Orléans, l’auteur
principal
des Libri Carolini, d’écrire une défense de l’emploi de l’expression
Filioque.
Publié en 809, le De Spirito Sancto de Théodulphe était surtout une
compilation
de citations patristiques en faveur de la théologie du Filioque. Fort
de cet
écrit Charlemagne réunit un concile à Aix-la-Chapelle (809-810) pour
affirmer
la doctrine que l’Esprit procède du Père et du Fils, mise en doute par
les
théologiens grecs. Après le concile il chercha à obtenir l’approbation
par le
pape Léon de l’usage du Credo avec le Filioque (Mansi 14, 23-76). En
810 se tint
à Rome une consultation entre le pape et une délégation venue du
concile. Tout
en confirmant l’orthodoxie de l’expression Filioque et en approuvant
son usage
dans la catéchèse et les professions de foi personnelles, le pape
désapprouva
explicitement son inclusion dans le texte du Credo de 381, parce que
les Pères
de ce Concile, qui comme il le faisait remarquer n’étaient pas moins
inspirés
par l’Esprit Saint que les évêques rassemblés à Aix-la-Chapelle
n’avaient pas jugé
bon de l’inclure. Le pape Léon stipula que l’emploi du Credo pouvait
être
permis, mais pas exigé, dans la célébration de l’Eucharistie. Pour
prévenir les
scandales, il recommandait vivement que la cour carolingienne ferait
bien de ne
pas l’insérer dans la liturgie. À cette époque, selon le Liber
pontificalis, le
pape fit faire deux grands boucliers d’argent, qu’il exposa à Saint-
Pierre,
dans lesquels était gravé le texte original du Credo de 381 en grec et
en
latin. Mais malgré ses directives et ce geste symbolique les
Carolingiens
continuèrent à employer le Credo avec le Filioque dans leurs diocèses
au cours
de l’Eucharistie. (7) Chez les byzantins
Les
byzantins étaient très peu au courant des
différents développements en Occident concernant le Filioque entre les
6e et 9e
siècles. La communication s’était faite progressivement plus mauvaise.
Les
luttes internes avec le monothélisme et l’iconoclasme, la montée de
l’Islam, laissaient
peu de loisir pour suivre de près les développements théologiques en
Occident.
Mais leur intérêt pour le Filioque se fit plus grand au milieu du 9e
siècle,
lorsqu’il se joignit aux querelles de juridiction entre Rome et
Constantinople,
et aux rapports sur les activités des missionnaires francs en Bulgarie.
Quand
les missionnaires byzantins furent expulsés de Bulgarie par le roi
Boris sous
influence occidentale, ils rentrèrent à Constantinople et rapportèrent
des informations
sur les pratiques occidentales dont la récitation du Credo avec le
Filioque
faisait partie. Le Patriarche Photios de Constantinople adressa en 867
une
encyclique sévère aux autres patriarches orientaux, dans laquelle il
présenta
ses commentaires sur la crise politique et ecclésiastique en Bulgarie
et sur
les tensions entre Rome et Constantinople. Dans cette lutte, il
dénonçait les
missionnaires occidentaux en Bulgarie et critiquait les pratiques
liturgiques occidentales.
De façon très significative le patriarche Photios appelait l’addition
du
Filioque un blasphème et présentait une argumentation théologique
circonstanciée contre la vision de la Trinité qu’il croyait qu’elle
représentait. L’opposition de Photios s’appuyait sur sa vision que le
Filioque implique
deux causes dans la Trinité et qu’il diminue la monarchie du Père.
Ainsi lui
semblait-il que le Filioque obscurcissait le caractère distinctif de
chaque
Personne de la Trinité, et confondait leurs relations, renfermant
paradoxalement les semences et du polythéisme païen et du modalisme
sabellien
(Mystagogie 9, 11). La lettre de 867 semble cependant ignorer
complètement la
tradition patristique latine qui soutenait l’usage du Filioque en
Occident. L’opposition
de Photios au Filioque sera élaborée plus avant par la suite dans sa
« Lettre
au patriarche d’Aquilée » en 883 ou 884, de même que dans sa
célèbre
Mystagogie du Saint-Esprit, composée vers 886. Dans la conclusion de sa
lettre
de 867 Photios demanda la tenue d’un concile oecuménique qui pourrait
résoudre
la question de l’interpolation du Filioque et éclairer ses fondements
théologiques.
Un concile local fut tenu à Constantinople en 867 qui déposa le pape
Nicolas
Ier, action qui fit croître la tension entre les deux sièges. Nicolas
Ier
lui-même avait refusé de reconnaître Photios comme patriarche à cause
de sa
soi-disante élection non-canonique. En 867, Photios fut obligé de
démissionner,
avec le changement du gouvernement impérial, et il fut remplacé par le
patriarche Ignace, qu’il avait lui-même remplacé en 858. Un nouveau
concile fut
réuni à Constantinople en 869 quelques mois plus tard. En présence des
représentants du pape et avec l’appui de l’empereur ce concile
excommunia
Photios. Dans la suite, l’Occident médiéval reconnut ce concile, pour
des
raisons indépendantes du Filioque ou de Photios, comme le 8e Concile
oecuménique, bien qu’il ne fut jamais reconnu comme tel en Orient. Les
relations
entre Rome et Constantinople ont changé lorsque Photios est redevenu
patriarche
en 877 après la mort d’Ignace. À Rome, le pape Nicolas était mort en
867. Son
successeur Hadrien II (867-872) anathématisa Photios en 869. Le pape
Jean VIII
(872-882), lui succédant, était disposé à reconnaître Photios comme le
patriarche légitime à certaines conditions, ouvrant ainsi la voie au
rétablissement de relations meilleures. Un Concile fut tenu à
Constantinople en
879-880 en présence des représentants de Rome et des autres patriarches
orientaux. Ce Concile, que certains théologiens orthodoxes modernes
tiennent
pour oecuménique, annula les décisions (8) du Concile de 869-870 et reconnut
Photios comme
patriarche. Il confirma le caractère oecuménique du Concile de 787 et
ses
décisions contre l’iconoclasme. Aucune discussion approfondie n’eût
lieu sur le
Filioque, qui ne faisait pas encore partie du Credo professé à Rome, et
le
Concile ne fit aucune déclaration sur sa justification théologique.
Mais le
Concile reconfirma formellement le texte original du Credo de 381, sans
le
Filioque, et anathématisa quiconque composerait une autre confession de
foi. Le
Concile, de plus, s’exprimait au sujet du siège romain avec grand
respect et
attribua aux légats du pape leurs prérogatives traditionnelles de
présidence,
reconnaissant leurs droits d’ouvrir et de clore les discussions et de
signer
les documents en premier. Néanmoins, les documents ne livrent aucune
indication
que les évêques présents reconnurent une quelconque primauté de
juridiction au
siège de Rome au-delà de la compréhension patristique de la communion
des
Églises et de la théorie canonique de la pentarchie (6e siècle). La
question
difficile des revendications rivales de juridiction en Bulgarie par le
pape et
le patriarche de Constantinople fut laissée à la décision de
l’empereur. Après
le Concile, le Filioque resta en usage dans le Credo dans certaines
parties de
l’Europe occidentale, malgré l’intention du pape Jean VIII, qui comme
ses
prédécesseurs maintint le texte sanctionné par le Concile de 381. Le début du 11e siècle
Une nouvelle
étape dans
l’histoire de la controverse s’ouvrit au. Au cours du synode qui suivit
le
couronnement à Rome du roi Henri II comme empereur romain en 1014, pour
la
première fois le Credo fut chanté pendant la messe papale avec le
Filioque. En
raison de cette initiative, l’emploi liturgique du Credo avec le
Filioque,
était dès lors généralement considéré dans l’Église latine comme
approuvé par
la papauté. Son inclusion dans l’Eucharistie, après deux siècles de
résistance
papale contre cette pratique, reflétait une nouvelle prépondérance des
empereurs germaniques sur la papauté, tout comme le sentiment
grandissant qu’avait
la papauté de son autorité, sous protection impériale, au sein de
l’Église
toute entière, en Occident et en Orient. Le Filioque a joué un rôle
important
au cours des événements tumultueux de 1054, lorsque des représentants
des
Églises orientales et occidentales s’excommunièrent mutuellement. Le
cardinal Humbert
de Silva Candida, légat du pape Léon IX, dans le contexte des anathèmes
qu’il
lança contre le patriarche Michel Iier Cérulaire de Constantinople et
certains
de ses conseillers, accusa les byzantins d’avoir supprimé indûment le
Filioque
du Credo et critiqua d’autres usages liturgiques orientaux. En réponse
à ses
accusations, le patriarche Michel se rendit compte que les anathèmes
lancés par
Humbert n’étaient pas le fait de Léon IX, et il lança ses propres
anathèmes contre
la seule délégation du pape. Léon, en effet, était déjà mort et n’avait
pas
encore de successeur. Le patriarche Michel condamna en même temps
l’emploi
occidental du Filioque dans le Credo, de même que d’autres usages
liturgiques
occidentaux. Cet échange limité d’excommunications ne provoqua pas en
soi un
schisme formel entre Rome et Constantinople, quoiqu’en aient pensé des
historiens postérieurs. Mais il élargit l’aliénation croissante entre
Constantinople
et Rome. Les relations entre l’Église de Rome et les Églises de
Constantinople,
Alexandrie, Antioche et Jérusalem ont souffert beaucoup pendant la
période des
Croisades, spécialement à la suite de l’infâme quatrième Croisade. La quatrième Croisade
En 1204, les
Croisés de
l’Occident mirent à sac la ville de Constantinople, longtemps rivale
commerciale
et politique de Venise. Des hommes politiques et le clergé d’Occident
avaient
la haute main sur la ville, jusqu’à ce que l’empereur Michel VIII (9)
Paléologue
la reprit en 1261. L’installation d’évêques occidentaux dans les
territoires de
Constantinople, d’Antioche et de Jérusalem, loyaux à Rome et aux
puissances
politiques d’Europe occidentale, devint un nouveau signal, tragiquement
visible, du schisme. Même après 1261, Rome soutînt des patriarches
latins sur
ces trois sièges orientaux antiques. Ceci était un signe clair pour la
plupart
des chrétiens d’Orient que la papauté et ses appuis politiques
faisaient peu de
cas de la légitimité de leurs antiques Églises. Malgré cette aliénation
croissante, plusieurs tentatives notables furent entreprises entre le
début du
12e siècle et la moitié du 13e siècle pour examiner la question du
Filioque. En
1186, l’empereur germanique Lothaire III envoya l’évêque Anselme de
Havelberg à
Constantinople pour négocier une alliance militaire avec l’empereur
Jean II
Comnène. Durant son séjour, Anselme et le métropolite Nicétas de
Nicomédie
eurent une série de discussions publiques sur des sujets qui divisaient
les
Églises, y compris le Filioque. Ils conclurent que les différences
entre les
deux traditions n’étaient pas aussi grandes qu’ils ne l’avaient pensé
(PL 188,
1206 B – 1210 B). Une lettre du patriarche orthodoxe Germain II
(1222-1240) au
pape Grégoire IX (1227- 1241) initia de nouvelles discussions entre
théologiens
orientaux et occidentaux à Nicée en 1234. D’autres discussions eurent
lieu en
1253-1254 à l’initiative de l’empereur Jean III Vatatzès (1222-1254) et
du pape
Innocent IV (1243-1254). Malgré ces efforts, les conséquences durables
de la
quatrième Croisade et la menace des Turcs, ainsi que les prétentions de
juridiction
de la papauté en Orient, firent que ces initiatives bien intentionnées
n’aboutirent pas. Ceci constitue l’arrière-plan du Concile occidental
tenu à
Lyon en 1274 (Lyon II), après que l’empereur byzantin eut reprit le
contrôle de
Constantinople. Malgré les effets négatifs des Croisades, beaucoup de
byzantins
étaient désireux de guérir les blessures de la division. Ils espérèrent
une
aide de l’Occident contre les avancées toujours plus grandes des Turcs.
Le pape
Grégoire X (1271-1276) de son côté misait avec enthousiasme sur la
réunion. Le
Filioque figurait parmi les sujets dont on avait convenu de discuter.
Pourtant
les deux évêques byzantins envoyés comme délégués n’eurent pas la
possibilité
au Concile de présenter le point de vue oriental. Les délégués
approuvèrent
formellement le Filioque lors de la session finale du 17 juillet dans
une brève
constitution, qui condamnait de plus ceux qui avaient d’autres vues sur
l’origine
du Saint-Esprit. Dès le 6 juillet, conformément à un accord réalisé
auparavant
entre les délégués du pape et l’empereur à Constantinople, la réunion
entre les
Églises d’Orient et d’Occident fut proclamée. Mais cette union ne fut
jamais
reçue par le clergé et les fidèles orientaux, pas plus que les papes ne
la
promurent avec vigueur en Occident. Dans ce contexte, il faut noter que
le pape
Paul VI, dans sa lettre commémorant le septième centenaire du Concile
(1974), a
reconnu ce fait et a ajouté que « les latins ont choisi des textes
et des
formules qui exprimaient une ecclésiologie conçue et développée en
Occident. Il
est compréhensible…qu’une unité atteinte de cette manière ne pouvait
pas être
vraiment acceptée par la mentalité chrétienne orientale ». Un peu
plus
loin le pape, lorsqu’il parle du dialogue catholique-orthodoxe, fait
remarquer
: « …il réexaminera d’autres points controversés que Grégoire X et
les
Pères de Lyon ont estimé résolus ». Le Concile oriental des
Blachernes
(Constantinople, 1285) rejeta justement les décisions du Concile de
Lyon et la
théologie pro-latine de l’ancien patriarche Jean XI Bekkos (1275-1282),
sous la
conduite du patriarche Grégoire II, connu aussi sous le nom de Grégoire
de
Chypre (1282-1289). Mais en même temps le Concile élabora une
déclaration
importante sur la question (10) théologique du Filioque. Tout en
rejetant
fermement la « double procession » de l’Esprit du Père et du
Fils, la
déclaration parlait d’une « manifestation éternelle » de
l’Esprit par
le Fils. La manière de s’exprimer du patriarche Grégoire ouvrit la
voie, pour
le moins, à une compréhension plus profonde et plus nuancée des
relations entre
le Père, le Fils et Saint-Esprit, en Orient et en Occident (cf. infra).
Cette
approche fut développée ultérieurement par Grégoire Palamas (1296-
1359) dans
le contexte de la distinction qu’il fit entre l’essence et les énergies
des
Personnes divines. Malheureusement, ces ouvertures eurent peu de
répercussions
sur les discussions médiévales postérieures de l’origine de l’Esprit,
aussi
bien dans l’Église orientale que dans l’Église occidentale. Malgré le
souci
manifesté par les théologiens byzantins, à partir de l’époque de
Photios, de
s’opposer et à la théologie du Filioque et à son insertion dans le
Credo latin,
on n’en trouve aucune référence dans le Synodikon de l’Orthodoxie, une
collection comprenant plus de soixante anathèmes reflétant les
décisions
doctrinales des conciles orientaux jusqu’au 14e siècle. Une autre
tentative
cependant fut faite pour traiter le sujet avec autorité au niveau
oecuménique. Le Concile de Ferrare-Florence
(1438-1445)
Le Concile de
Ferrare-Florence
(1438-1445) réunit de nouveau des représentants de l’Église de Rome et
des
Églises de Constantinople, Alexandrie, Antioche et Jérusalem, afin de
discuter
d’un large spectre de questions controversées, y compris l’autorité
papale et
le Filioque. Le Concile se tenait à un moment où l’Empire byzantin
était
gravement menacé par les Ottomans et où le monde grec pensait que
l’unique
espoir de Constantinople était l’aide militaire de l’Occident. À la
suite de
longues discussions des experts des deux parties, souvent autour de
l’interprétation de textes patristiques, l’union des Églises fut
déclarée le 6
juillet 1439. Le décret, Laetentur caeli, du Concile d’union reconnut
la
légitimité de la théologie occidentale de la procession éternelle de
l’Esprit
du Père et du Fils comme d’un seul principe et dans une seule
spiration. Le
Filioque ici était présenté comme ayant la même signification que la
position
tenue par certains Pères orientaux antiques : l’Esprit est ou procède
« par
le Fils ». Le Concile, de plus, approuva un texte qui affirmait
que le
pape avait « la primauté sur le monde entier » en tant que
« chef
de l’Église entière, et père et docteur de tous les chrétiens ».
Malgré la
participation orthodoxe à ces discussions, les décisions de Florence,
de même
que les décrets d’union de Lyon II, ne furent jamais reçues par un
corps
représentatif d’évêques ou de fidèles en Orient, et elles furent
formellement
rejetées par Constantinople en 1484. La chute de Constantinople en
1453, les
divisions provoquées en Occident par la Réforme protestante, les
missions
latines ultérieures dans l’ancien monde byzantin et l’établissement
d’Eglises
orientales en communion avec Rome approfondirent le schisme et
donnèrent lieu à
une abondante littérature polémique de part et d’autre. Pendant plus de
cinq
siècles, catholiques et orthodoxes eurent peu l’occasion de discuter
sérieusement le Filioque, et les questions connexes de la primauté et
de
l’autorité magistérielle de l’évêque de Rome. L’Orthodoxie et le
Catholicisme
romain entrèrent dans une période d’isolement mutuel formel, et chacun
développa la conviction d’être le seul corps ecclésial représentant
authentiquement la foi apostolique. Cela se vérifie, par exemple, dans
l’encyclique In Suprema Petri Sede de Pie IX (6 janvier 1848) et dans
l’encyclique « Praeclara Gratulationis Publicae » de Léon
XIII (20
janvier 1894), tout comme dans l’encyclique des patriarches orthodoxes
de 1848
et dans celle du patriarcat de Constantinople en 1895, qui l’une et
l’autre
réagissaient aux documents des papes. XIXème siècle et Vatican
II
En 1874- 1875,
des discussions
oecuméniques furent organisées entre les Églises orthodoxes et des
représentants
des vieux-catholiques et des anglicans en Allemagne. Ils furent
occasionnellement (11) repris
au cours du siècle suivant, mais en général peu de progrès substantiel
fut fait
par rapport à l’opposition figée des vues traditionnelles orientales et
occidentales. Une étape nouvelle des relations entre l’Église
catholique et l’Église
orthodoxe commença formellement avec le Concile Vatican II (1962-1968),
qui
renouèrent les contacts et le dialogue. À partir de ce moment, un
certain
nombre de questions théologiques et de faits historiques ayant conduit
au
schisme entre les Églises bénéficièrent d’un regain d’intérêt. Dans ce
contexte, notre « North American Orthodox-Catholic
Consultation » fut
instituée en 1965 et la « Commission mixte internationale pour le
dialogue
théologique entre l’Église catholique et l’Église orthodoxe » en
1979.
Bien qu’une commission de théologiens venant d’un grand nombre
d’Églises et
patronnée par « Foi et Constitution » du « Conseil
oecuménique
des Églises », a mené une étude approfondie de la question du
Filioque en
1978 et 1979, et a publié en conclusion le « memorandum de
Klingenthal »
(1979), aucune étude commune nouvelle et circonstanciée du problème n’a
été
entreprise par des représentants de nos Églises avant notre propre
étude. La
première déclaration de la « Commission mixte
internationale » (1982),
intitulée « Le mystère de l’Église et de l’Eucharistie à la
lumière du
mystère de la Trinité », aborde rapidement le problème du Filioque
dans le
contexte d’une discussion ample des relations entre les Personnes de la
S.
Trinité. La déclaration écrit : « Sans vouloir encore résoudre les
difficultés
suscitées entre l’Orient et l’Occident au sujet de la relation entre le
Fils et
l’Esprit, nous pouvons déjà dire ensemble que cet Esprit qui procède du
Père
(Jn 15, 26), comme de la seule source dans la Trinité, et qui est
devenu
l’Esprit de notre filiation (Rm 8, 15) car il est aussi l’Esprit du
Fils (Gal
4, 6), nous est communiqué, particulièrement dans l’Eucharistie, par ce
Fils sur
lequel il repose, dans le temps et dans l’éternité (Jn 1, 32) » (§
6). Plusieurs
autres événements des dernières décennies indiquent une plus grande
disponibilité de la part de Rome à reconnaître le Credo original de
Constantinople. Lorsque le patriarche Dimitrios Ier a visité Rome le 7
décembre
1987, et encore pendant la visite du patriarche Bartholomée Ier à Rome
en juin
1995, ils ont assisté à une Eucharistie célébrée par le pape Jean-Paul
II dans
la basilique Saint-Pierre. L’une et l’autre fois, le pape et le
patriarche ont
proclamé le Credo en grec (i. e. sans le Filioque). Le pape Jean-Paul
II et le
patriarche roumain Théoctiste ont fait de même en roumain lors de la
messe
papale à Rome le 13 octobre 2002. Le document Dominus Jesus
, Sur l’unicité
et l’universalité
salvifique de Jésus-Christ et de l’Église, publié par la Congrégation
pour la
Doctrine de la Foi le 6 août 2000, ouvre ses réflexions théologiques
sur
l’enseignement essentiel de l’Église par le texte du Credo de 381, de
nouveau
sans l’addition du Filioque. Puisque aucune interprétation n’a été
donnée de
ces faits, ces développements suggèrent une conscience nouvelle du côté
catholique du caractère unique du texte original grec du Credo, qui
représente
la formulation la plus authentique de la foi qui unit les chrétientés
orientale
et occidentale. Peu de temps après la rencontre à Rome entre le pape
Jean-Paul
II et le patriarche oecuménique Bartholomée Ier le Vatican a publié le
document
« Les traditions grecque et latine concernant la procession du
Saint-Esprit » (13 septembre 1995). Dans son intention, ce texte
voulait
fournir une nouvelle contribution au dialogue sur ce sujet controversé
entre
nos Églises. Parmi les multiples observations émises ce texte dit :
« l’Église
catholique reconnaît la valeur conciliaire, oecuménique, normative et
irrévocable du symbole de foi professé en grec au second Concile
oecuménique de
Constantinople en 381, en tant que l’expression de l’unique foi commune
de (12)
l’Église
et de tous les chrétiens. Aucune confession de foi, propre à une
tradition
liturgique particulière, ne peut contredire cette expression de foi
enseignée
et professée par l’Église indivise ». Quoique l’Église catholique
de toute
évidence ne considère pas que le Filioque soit en contradiction avec le
Credo
de 381, il ne faudrait pas minimiser la portée de ce passage dans la
déclaration
vaticane de 1995. C’est en réponse à ce document important qu’a
commencé en
1999 notre propre étude du Filioque, et nous espérons que la
déclaration
présente aidera à prolonger les échanges positifs entre nos deux
Commissions,
dont nous avons fait l’expérience. III.
Considérations théologiques
Dans toutes les
discussions sur
l’origine du Saint-Esprit dans le mystère de Dieu et les relations
entre le
Père, le Fils et le Saint-Esprit, l’attitude première à cultiver est
sans aucun
doute l’humilité respectueuse. Nous ne pouvons affirmer que peu de
choses sur
le mystère de Dieu en lui-même et nos spéculations courent toujours le
danger
d’afficher un degré de clarté et de certitude exagéré. Le pseudo-Denys
nous
rappelle que « ni la monade, ni la triade, ni le nombre, ni
l’unité ou la
fécondité, rien parmi les étants ou connu avec eux, ne peuvent exprimer
le mystère
caché, au-delà de toute raison et de tout intellect, de la Sur-Divinité
qui suressentiellement
surpasse toute chose… » (Sur les Noms Divins 13, 3). Comme
chrétiens, nous
confessons que notre Dieu, qui est radicalement et indivisiblement un,
est le
Père, le Fils et la Saint-Esprit, trois « Personnes », qu’on
doit ni
confondre ni réduire l’une à l’autre, qui sont toutes trois pleinement
et
littéralement Dieu, chacune en soi et dans le tout harmonieux de leurs
relations
réciproques. Ceci est simplement une reprise de ce que l’autorévélation
de Dieu
dans l’histoire humaine nous a appris, révélation qui a atteint son
point
culminant dans notre capacité de confesser dans la force de l’Esprit
Saint que
Jésus est le Verbe et le Fils du Père éternel. Notre langage chrétien
sur Dieu
doit certainement toujours être déterminé par les Saintes Écritures de
manière
normative. Reste cependant toujours la difficile question herméneutique
de
savoir comment rapporter certaines expressions et textes de l’Écriture
lorsqu’on parle de la vie intime de Dieu, et de savoir quand un passage
se
réfère simplement à l’action de Dieu dans l’» économie » de
l’histoire du salut ou que nous devons comprendre qu’il parle
directement de l’être
de Dieu en lui-même. La division entre nos Églises au sujet du Filioque
aurait
été moins grave si de part et d’autre au long des siècles, on était
resté
davantage conscient des limites de notre connaissance de Dieu. La
discussion
ensuite de ce thème difficile a été souvent gênée par les distorsions
de la polémique
: chacun a caricaturé le point de vue de l’autre pour faire valoir ses
arguments. Il n’est pas vrai, par exemple, que la théologie orthodoxe
majoritaire conçoit la procession de l’Esprit comme sans rapport avec
la
relation du Fils avec le Père ; ou qu’elle pense que l’Esprit n’
« appartient »
pas au Fils lorsqu’Il est envoyé dans l’histoire. Il n’est pas vrai non
plus
que la théologie latine majoritaire aurait commencé sa réflexion
trinitaire à
partir d’une considération abstraite ou non-scripturaire de l’Essence
divine,
ou qu’elle pose deux causes de l’existence hypostatique de l’Esprit, ou
qu’elle
a l’intention d’assigner au Saint-Esprit un rôle subordonné au Fils,
soit dans
le mystère de Dieu soit dans l’histoire du salut. Notre étude nous a
convaincus
que les traditions théologiques d’Orient et d’Occident sont
substantiellement
d’accord, depuis la période patristique, sur un certain nombre
d’assertions fondamentales
concernant la Sainte Trinité, qui se répercutent dans le débat sur le
Filioque
: (13) ·
l’une et l’autre traditions
affirment clairement
que le Saint-Esprit est une hypostase distincte dans le mystère de
Dieu, égal
en dignité au Père et au Fils, et qu’Il n’est pas une simple créature
ou une
manière de parler de l’action de Dieu dans les créatures ; ·
sans
que le Credo de 381 le dise explicitement, l’une et l’autre traditions
confessent que l’Esprit Saint est Dieu, de la même essence divine
(homoousios)
que le Père et le Fils ; ·
l’une et l’autre traditions
affirment clairement
que le Père est la Source première (archè) et la cause (aitia) dernière
de
l’Etre divin, et donc de toutes les opérations divines : la
« source »
d’où coulent et le Fils et l’Esprit, la « racine » de leur
être et de
leur fécondité, le « soleil » qui irradie leur existence et
leur
activité ; ·
l’une et l’autre traditions
affirment que les
trois hypostases ou personnes en Dieu sont constituées dans leur
existence
hypostatique et distinguées les unes des autres uniquement par leur
relation
d’origine, et non par telle ou telle autre caractéristique ou activité
; ·
dès lors, l’une et l’autre
traditions affirment
que toutes les opérations divines, à savoir les actes par lesquels Dieu
appelle
à l’être la création et lui donne forme pour son bien-être en un cosmos
unifié
et ordonné, centré sur la créature humaine faite à l’image de Dieu,
sont
l’oeuvre commune du Père, du Fils et du Saint-Esprit, même si chaque
Personne a
un rôle distinct dans ces opérations, déterminé par leurs relations
mutuelles. Malgré cela,
les traditions
orientale et occidentale de réflexion sur le mystère de Dieu ont
manifestement développé
des catégories et des conceptions qui se différencient profondément. Il
n’est
pas possible de gommer simplement par des explications ces différences,
pas
plus que de leur donner un semblant d’équivalence par une argumentation
superficielle. Il est possible de résumer les différences de la manière
qui
suit. 1)
Le
vocabulaire
La controverse
sur le Filioque
est en premier lieu une controverse sur des mots. Plusieurs auteurs
récents ont
montré qu’une part du désaccord théologique entre nos Communions semble
prendre
racine dans des différences subtiles mais significatives concernant
l’utilisation des termes-clefs employés pour parler de l’origine divine
de
l’Esprit. Le texte original du Credo de 381, lorsqu’il parle du
Saint-Esprit,
le caractérise avec les mots de Jn 15, 26, comme « celui qui
procède (ekporeuetai)
du Père. Influencé probablement par la tournure de Grégoire le
Théologien (Or.
31, 8), le Concile a fait le choix de se limiter au langage johannique,
tout en
changeant légèrement le texte de l’Évangile (i.e. en changeant to pneuma…ho para tou Patros ekporeuetai
en to pneuma to hagion… to ek tou Patros
ekporeuomenon), afin de souligner que la « procession »
de
l’Esprit s’origine « dans » le rôle hypostatique éternel du
Père en
tant qu’il est source de l’Etre divin, de sorte qu’on en parle le mieux
comme
d’une espèce de « mouvement vers le dehors (ek) » de lui. La
nuance
sous-jacente à ekporeuesthai (« procéder », « sortir
de »)
et son substantif ekporeusis (« procession ») semble avoir
été celle d’un
« passage vers l’extérieur » de l’intérieur d’un point
d’origine. Au
moins depuis l’époque des Pères cappadociens, la théologie grecque
restreint presque
toujours l’emploi de ce terme à l’issue de l’Esprit du Père et lui
donne le
statut d’un terme technique pour désigner la relation entre les deux
Personnes
divines. D’autres vocables grecs, tel proienai (émettre) sont souvent
employés
par les Pères orientaux pour parler de la « mission »
salvatrice de
l’Esprit par le Père et le Seigneur ressuscité dans l’histoire. (14) Le mot
latin procedere d’autre part, avec son substantif processio, évoque
simplement « un
mouvement en avant », sans y impliquer le point de départ de ce
mouvement.
Il est donc employé pour traduire aussi plusieurs autres vocables
théologiques
grecs, proienai y compris. Thomas d’Aquin le comprend clairement comme
un terme
qui indique « toute espèce d’origine » (Summa Theologiae I,
9. 36, a.
2), et il inclut en contexte trinitaire, aussi bien sa génération du
Fils que
la spiration de l’Esprit et sa mission dans le temps. Il s’ensuit que
le même
mot procedere en latin tend à désigner et l’origine primordiale de
l’Esprit
dans le Père éternel et sa « provenance » du Seigneur
ressuscité,
alors que la théologie grecque emploie normalement deux mots
différents. Bien
que la différence entre les traditions grecque et latine dans sa
compréhension
de l’origine éternelle de l’Esprit est plus que verbale, la
préoccupation
initiale de l’Église grecque au sujet de l’insertion des mots Filioque
dans la
traduction grecque du Credo de 381, pourrait être due, comme Maxime le
Confesseur l’a expliqué (Lettre à Marinus : PG 91, 133-136), à une
mauvaise
compréhension de part et d’autre des différents champs de signification
impliqués dans les vocables grecs et latins qui désignent la
« procession ». 2) Les
problèmes de fond
Deux problèmes
principaux
séparent manifestement les Églises d’Orient et d’Occident dans leur
débat
historique sur le Filioque. L’un est théologique au sens strict, et
l’autre
ecclésiologique. a) Le problème théologique : Si on comprend la
« théologie »
dans le sens patristique comme une réflexion sur Dieu comme Trinité, le
problème théologique à l’arrière-plan de cette dispute consiste à
savoir si
l’on considère que le Fils joue un rôle quelconque dans l’origine de
l’Esprit,
en tant qu’hypostase ou « Personne » divine, du Père, qui est
la
source dernière du Mystère divin. La tradition grecque, comme nous
l’avons vu,
s’est généralement appuyé sur Jean 15, 26 et sur la formulation du
Credo de
381, pour affirmer que la seule chose que nous savons de l’origine
hypostatique
de l’Esprit, est qu’Il « procède du Père » d’une manière qui
se
distingue de la « génération » du Fils par le Père, mais qui
lui est
parallèle (e.g. Jean Damascène, De la foi orthodoxe 1, 8). Cette
même
tradition néanmoins reconnaît que la « mission » de l’Esprit
dans le
monde implique aussi le Fils, qui reçoit l’Esprit dans son humanité
lors de son
baptême, souffle l’Esprit sur les Douze le soir de la résurrection, et
envoie
l’Esprit avec puissance dans le monde, grâce à la prédication
charismatique des
Apôtres, le jour de la Pentecôte. La tradition latine d’autre part,
depuis Tertullien,
a eu tendance à supposer que, puisque l’ordre dans lequel l’Église
énumère normalement
les Personnes de la Trinité place l’Esprit après le Fils, on doit
penser que
l’Esprit provient « du » Père « par » le Fils.
Augustin,
qui en maints passages insiste sur le fait que le Saint-Esprit
« procède
du Père, parce qu’en tant que Dieu Il n’est pas inférieur au Fils (De
fide et symbolo
9, 19 ; Enchiridion 9, 3), développe en d’autres textes sa
compréhension
classique, à savoir que l’Esprit « procède » aussi du Fils
parce
qu’Il est dans l’histoire sainte, l’Esprit et le « don »
conjoint du
Père et du Fils (e. g. De la Trinité 4, 20-29 ; Traités sur l’Évangile
de Jean 99,
6-7), don qui s’origine dans leur propre échange éternel d’amour (De la
Trinité
15, 17. 29). Pour Augustin, cette participation du Fils dans la
procession de
l’Esprit ne contredit pas le rôle du Père en tant qu’unique source
dernière du
Fils et de l’Esprit, mais elle est donnée par le Père dans la
génération du
Fils : « Le Saint-Esprit de ce fait tient du Père lui-même, qu’Il
procède aussi
du Fils comme Il procède du Père » (Traités sur l’Évangile de Jean
99, 8). (15)
Une part
importante de la différence entre les traditions latine et grecque est
due
manifestement à la différence subtile entre le mot latin procedere et
le mot
grec ekporeuesthai. Comme on l’a noté, la « provenance » de
l’Esprit
est désignée d’une manière plus générale par le mot latin, sans que ce
dernier
connote, comme le mot grec, l’origine dernière. La
« procession » de
l’Esprit du Fils, cependant, est comprise par la théologie latine comme
une
relation quelque peu différente de sa « procession » du Père,
même
lorsque, selon les explications d’Anselme de Cantorbéry et de Thomas
d’Aquin,
la relation du Père et du Fils à l’Esprit Saint est dite constituer
« un
seul principe » de l’origine de l’Esprit. Même s’Ils spirent
ensemble
l’Esprit, selon ses théologiens latins ultérieurs, le Père garde la
priorité,
puisque Il donne au Fils tout ce qu’Il a et rend possible tout ce qu’Il
fait. Des
théologiens grecs également se sont efforcés de trouver des manières
d’exprimer
que le Fils, qui envoie l’Esprit dans l’histoire, joue lui aussi un
certain
rôle médiateur dans l’être éternel et l’activité de l’Esprit. Grégoire
de
Nysse, par exemple, explique que nous pouvons seulement distinguer les
hypostases dans le Mystère de Dieu en « croyant que l’un est la
cause,
l’autre de la cause ; et dans ce qui est de la cause nous reconnaissons
encore
une autre distinction : l’une vient directement du premier, l’autre est
par
celui qui vient directement du premier ». Il est caractéristique
de la « médiation »
(mesiteia) du Fils dans l’origine de l’Esprit, ajoute-t-il, qu’elle
préserve à
la fois son être Unique-engendré au Fils et permet que l’Esprit a une
« relation
naturelle » au Père (A Ablabius, GNO III/1, p. 56, 3-10). Le
Concile des
Blachernes (1285), au 13e siècle, présidé par le patriarche Grégoire II
de
Constantinople, alla plus loin dans l’interprétation des textes
patristiques
parlant de l’être de l’Esprit « par » le Fils et ce en
harmonie avec
la tradition orthodoxe. Dans son Tomos, le Concile proposa que l’Esprit
Saint, quoique
la foi chrétienne doit maintenir qu’Il reçoit son existence et son
identité
hypostatique uniquement du Père, seule cause de l’Etre divin,
« brille du
Fils et est manifesté éternellement par lui à la manière dont brille la
lumière
et est manifestée par les rayons du soleil (PG 142, 240 C-D). Au siècle
suivant, Grégoire Palamas a proposé une interprétation similaire de
cette
relation dans un certain nombre de ses ouvrages. Dans sa Confession de
1351,
par exemple, il affirme que le Saint-Esprit « a le Père comme
fondation,
source et cause », mais « repose dans le Fils » et
« est
envoyé, à savoir manifesté, par le Fils » (….). Du point de vue de
l’énergie divine transcendante, mais pas du point de vue de la
substance ou de
l’être hypostatique, « l’Esprit se répand à partir du Père par le
Fils, et
si vous voulez, à partir du Fils, sur tous ceux qui en sont
dignes »,
communication qui peut être appelée « procession »
(ekporeusis) au
sens large (Traités apodictiques I, ). Les traditions latine et grecque
manifestent un certain désaccord sur la question fondamentale de
l’origine
éternelle de l’Esprit comme Personne divine distincte. La théologie
occidentale
au moyen âge, sous l’influence d’Anselme et de Thomas d’Aquin, conçoit
presque
unanimement l’identité de chaque Personne divine comme définie par ses
« relations
d’opposition » aux deux autres Personnes (en d’autres mots, par
les
relations d’origine qui les définissent mutuellement), et conclue que
l’Esprit
Saint ne pourrait pas être distingué hypostatiquement du Fils si
l’Esprit « procédait »
du Père seul. La compréhension latine de la processio comme terme
générique de l’
« origine », on peut dire aussi qu’après tout que le Fils
« procède
du Père » en tant qu’engendré de lui. La théologie orientale,
recourant à
la tournure de Jean 15, 26 et du Credo de 381, continue de comprendre
la
langage de la « procession » (ekporeusis) comme indiquant une (16)
relation
causale unique, exclusive et distincte entre l’Esprit et le Père. En
général,
elle limite le rôle du Fils à la « manifestation » et à la
« mission »
de l’Esprit dans l’agir divin de la création et de la rédemption. Ces
différences, bien que subtiles, sont substantielles. Le poids même des
traditions
théologiques qui les soutiennent les rend d’autant plus difficile à
réconcilier. b) Le problème ecclésiologique : L’autre question
présente, depuis
la fin du 8e siècle, dans le débat sur le Filioque, est celle de
l’autorité
pastorale et magistérielle dans l’Église ; plus spécifiquement, celle
de
l’autorité de l’évêque de Rome à résoudre définitivement les questions
dogmatiques, simplement en vertu de sa charge. Depuis le Concile
d’Éphèse (431),
la tradition dogmatique des Églises orientale et occidentale a affirmé
à
plusieurs reprises que le critère dernier de l’orthodoxie dans
l’interprétation
de l’Évangile chrétien doit être « la foi de Nicée ». La
tradition
orthodoxe considère que les Credos et les canons formulés par les
Conciles,
reçus par les Églises apostoliques comme « oecuméniques »,
sont
l’expression normative de cette foi, parce qu’ils expriment la foi
apostolique
universelle de toujours. La tradition catholique reçoit aussi les
formules
conciliaires comme dogmatiquement normatives, et attribue une
importance unique
aux sept Conciles acceptés comme oecuméniques par les Églises
catholique et
orthodoxe. La tradition catholique cependant, en reconnaissant la
primauté
universelle de l’évêque de Rome en matière de foi et de service à
l’unité,
accepte que le pape a autorité pour confirmer le processus de réception
conciliaire et pour définir ce qui est ou n’est pas en conflit avec la
« foi
de Nicée » et la tradition apostolique. Ainsi, alors que la
théologie
orthodoxe a considéré que l’approbation finale par les papes, au 11e
siècle, de
l’emploi du Filioque dans la Credo latin comme une usurpation de
l’autorité
dogmatique n’appartenant qu’aux Conciles oecuméniques, la théologie
catholique
l’a considéré comme étant un exercice légitime de l’autorité
primatiale, qui
proclame et élucide la foi de l’Église. Notre étude commune nous a
montré à
plusieurs reprises, que la question du Filioque est devenue un thème
majeur
justement à des époques où des questions de pouvoir et de contrôle ont
préoccupé nos Églises. La question était avancée soit comme une
condition pour améliorer
les relations, soit comme une raison pour laisser perdurer la désunion
sans
guérir la blessure. Tout comme dans le problème théologique de
l’origine du
Saint-Esprit, cette divergence dans la compréhension de la structure et
de
l’exercice de l’autorité en Église est certainement très grave. Il ne
fait pas
de doute que la primauté du pape, avec toutes ses implications, demeure
le problème
fondamental à l’arrière-plan de toutes les questions de théologie et de
pratique qui continuent de diviser nos Communions. Nous avons néanmoins
trouvé
opportun de séparer méthodologiquement ces deux problèmes dans la
discussion en
cours sur le Filioque, et de reconnaître qu’il faut approcher le
mystère des
relations entre les Personnes en Dieu par un autre biais que par la
question de
savoir si oui ou non il est correct que les Églises d’Occident
proclament la
foi de Nicée en des termes qui ne coïncident pas avec le texte original
du
Credo de Nicée de 381. 3) Réflexions ultérieures On a souvent remarqué
que la
théologie du Saint-Esprit est une aire sous-développée de la réflexion
théologique chrétienne. Cela semble être vrai même pour la question de
l’origine du (17)
Saint-Esprit. Quoiqu’on ait beaucoup écrit sur les arguments en faveur
ou
contraire à la théologie du Filioque depuis l’époque carolingienne,
presque
toute cette littérature a été de nature polémique, rédigée pour
justifier des
positions considérées de part et d’autre comme non négociables. Peu
d’effort a
été fait jusqu’aux temps modernes de chercher de nouvelles voies pour
exprimer
et expliquer la compréhension biblique et patristique de la personne et
de
l’oeuvre de l’Esprit Saint. Cette recherche pourrait servir à
reconsidérer à
nouveaux frais la discussion et conduire toutes les Églises à un
consensus sur
des sujets essentiels en continuité avec les deux traditions.
Récemment, un
certain nombre de théologiens de différentes Églises a suggéré que le
temps est
venu de revenir ensemble à cette question, dans un esprit
authentiquement oecuménique,
et de chercher de nouvelles expressions dans notre articulation de la
foi apostolique,
qui pourraient jouir finalement d’une réception chrétienne oecuménique.
Notre
Commission accepte les défis et soutient pareille entreprise
théologique
commune. Nous espérons qu’un processus sérieux de réflexion sur la
théologie du
Saint-Esprit, fondé sur les Écritures et l’entière tradition de la
théologie
chrétienne, et mené dans un esprit d’ouverture à de nouvelles
formulations et
structures conceptuelles en harmonie avec cette tradition, pourra aider
nos
Églises à découvrir des profondeurs nouvelles de la foi commune et à
croître en
estime pour nos pères respectifs. Nous conseillons vivement, de plus,
que nos
deux Églises, ensemble et séparément, persistent dans leurs efforts de
réflexion sur la primauté et la synodalité au sein des structures
ecclésiales
d’enseignement et de pratique pastorale, reconnaissant que sur ces
points aussi
une ouverture soutenue à un développement doctrinal et pratique,
intimement lié
à l’oeuvre de l’Esprit dans la communauté, reste une nécessité
cruciale. Dans
son cinquième discours théologique sur la divinité du Saint-Esprit
Grégoire de
Nazianze nous rappelle que la lente découverte par l’Église du
véritable statut
et de l’identité de l’Esprit Saint fait tout simplement partie de
« l’ordre
de la théologie » (taxis tès theologias) grâce auquel « la
lumière se
lève pour nous graduellement » dans notre intelligence du mystère
salvateur de Dieu (Or. 31, 27). Ce n’est que si nous « écoutons ce
que
l’Esprit dit aux Églises » (Apc 3, 22), que nous serons capables
de demeurer
fidèles à la Bonne Nouvelle prêchée par les Apôtres, tout en croissant
dans l’intelligence
de cette foi. C’est la tâche de la théologie. IV. Recommandations
Nous sommes
conscients que le
problème de la théologie du Filioque et de son emploi dans le Credo,
n’est pas
seulement problème entre la Communion catholique et la Communion
orthodoxe.
Beaucoup d’Églises protestantes aussi, redevables à l’héritage
théologique de l’Occident
médiéval, estiment que l’expression fait partie intégrante de la
profession de
foi chrétienne orthodoxe. Même si le dialogue entre quelques-unes de
ces
Églises et la communion orthodoxe a déjà touché cette question, toute
future
résolution du désaccord entre l’Orient et l’Occident sur l’origine de
l’Esprit
doit impliquer toutes les communautés qui professent le Credo de 381
comme
norme de leur foi. Pleinement consciente de ses limites notre
Commission
formule néanmoins les recommandations théologiques et pratiques à
l’adresse des
fidèles et des évêques de nos Églises : 1. Que nos
Églises s’engagent à
un dialogue nouveau et sérieux sur l’origine et la personne du
Saint-Esprit, en
recourant aux Saintes Écritures et à toutes les richesses des (18)
traditions
théologiques de nos deux Églises et qu’elles cherchent des voies
constructives
dans l’expression de ce qui est au coeur de notre foi dans cette
question
difficile ; 2. Que tous
ceux qui sont engagés
dans ce dialogue, reconnaissent expressément les limites de nos
possibilités
d’avancer des affirmations définitives sur Dieu lorsqu’il s’agit de sa
vie
intime. 3. Que dans
l’avenir, en raison
des progrès faits dans la compréhension réciproque durant les dernières
décennies, les orthodoxes et les catholiques s’abstiennent d’étiqueter
comme hérétiques
les traditions les unes des autres sur la procession du Saint-Esprit ; 4. Que les
théologiens orthodoxes
et catholiques distinguent plus nettement la divinité et l’identité
hypostatique du Saint-Esprit, dogme reçu dans nos Églises, et le mode
d’origine
de l’Esprit, dogme qui attend encore une solution oecuménique pleine et
finale
; 5. Que les
personnes engagées
dans le dialogue sur ce problème distinguent, autant que possible, les
questions théologiques du mode d’origine du Saint-Esprit des questions
ecclésiologiques
de la primauté et de l’autorité doctrinale dans l’Église, même si nous
examinons sérieusement ensemble les deux questions ; 6. Que le
dialogue théologique
entre nos Églises prennent attentivement en considération le statut des
conciles ultérieurs, tenus dans l’une et l’autre Églises, aux sept
généralement
reçus dans nos Églises ; 7. Que l’Église
catholique, en
raison de la valeur normative et dogmatiquement irréformable du Credo
de 381,
n’utilise que le texte grec original dans ses traductions pour usage
catéchétique
et liturgique ; 8. Que l’Église
catholique, suite
à un consensus théologique grandissant, et en particulier suite aux
paroles de
Paul VI, déclare que la condamnation du 2e Concile de Lyon (1274) de
« ceux
qui ont l’audace de nier que le Saint-Esprit procède éternellement du
Père et
du Fils » ne s’applique plus. Nous proposons
ces
recommandations à nos Églises, convaincus que nous sommes, grâce à une
étude et
des échanges intensifs, que les manières différentes de nos traditions
de
comprendre la procession du Saint-Esprit, ne doivent plus nous diviser.
Nous
croyons plutôt que notre profession de l’antique Credo de
Constantinople doit
pouvoir devenir, grâce à un même usage et à nos nouvelles tentatives de
compréhension réciproque, le fondement d’une unité plus consciente dans
la foi
commune, que toute théologie essaie simplement de clarifier et
d’approfondir.
Bien que notre expression de la vérité que Dieu révèle de son Etre
propre ne
peut que rester toujours bornée par les limites de l’entendement humain
et de
nos mots, nous croyons que c’est vraiment « l’Esprit de
vérité » que
Jésus souffle sur son Église, qui demeure jusqu’à présent avec nous
pour « nous
conduire dans la vérité toute entière » (Jn 16 ,13). Nous prions
pour que
la compréhension qu’ont nos Églises de l’Esprit cesse d’être pour nous
un
scandale ou un obstacle à l’unité dans le Christ. Puisse l’unique
vérité vers
laquelle l’Esprit Saint nous conduit, être vraiment un « lien de
la paix »
(Eph 4, 3), pour nous et pour tous les chrétiens. |
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