L’attente chrétienne de la Parousie

Réflexions théologiques


Sous le signe de l’attente

Dans notre monde marqué à bien des égards par l’immédiateté, il nous faut sans doute apprivoiser à nouveau le sens du temps et de l’histoire, redécouvrir la vertu bienfaisante de la durée et de l’attente. La durée est en effet la condition de possibilité de la maturation, du désir, de la fidélité. À cette fin, le christianisme est éclairant. En effet, l’attente de l’accomplissement est depuis toujours un des ressorts fondamentaux de la foi chrétienne. Ainsi, dès la primitive Église, les chrétiens sont animés par l’espérance de la venue finale du Christ, de sa « Parousie » : ils sont tendus vers l’avenir, ils attendent la manifestation eschatologique du Royaume.

Le terme grec parousiva signifie « venue, présence ». Dans son sens profane, le terme désignait l’entrée solennelle et triomphale d’un souverain hellénique dans une ville conquise sur laquelle il exerçait désormais son pouvoir. Les premières générations chrétiennes reprirent ce terme pour l’appliquer à l’avènement glorieux du Seigneur à la fin des temps (cf. Mt 24,3.27.37.39 ; 1Th 2,19 ; 3,13 ; 4,15 ; 5,23 ; 1Co 1,8 ; 15,23 ; 2P 3,4.12…). À partir du 2es., avec S. Justin surtout, on commencera à parler des « deux Parousies » du Christ. La première, humble et souffrante, a consisté en sa venue dans la chair ; la seconde, encore à venir, sera en revanche majestueuse et glorieuse[1]. Ce schéma de la double Parousie du Seigneur sera indéfiniment repris dans la pensée patristique ultérieure[2]. Enfin, dans ses Sermons pour l’Avent, S. Bernard au 12es. parlera même d’un « adventus triplex » du Seigneur (III,4 ; V,1) : entre la venue incarnée et la venue finale, il y a en effet un avènement intermédiaire, uniquement perceptible avec les yeux de la foi : le Seigneur ne cesse de venir à nous, à travers sa Parole et les sacrements. Par son Esprit, il vient faire en notre cœur sa demeure (cf. Jn 14,23). En ce sens, la Parousie du Seigneur est permanente : le Seigneur est « Celui qui vient » (Ap 1,4.8 ; 4,8).

Si, dans les premières communautés, cette attente de la Parousie du Seigneur est vécue avec une certaine fébrilité, parfois excessive il est vrai[3], aujourd’hui, par contre, il semble que ce désir se soit quelque peu émoussé : les chrétiens attendent-ils encore quelque chose ?… Pourtant, le Credo de Nicée-Constantinople nous invite à demeurer tendus vers Celui qui « reviendra dans la gloire pour juger les vivants et les morts » : « j’attends (exspecto) la résurrection des morts et la vie du monde à venir ». La liturgie eucharistique elle-même est transie par cette attente, par ce désir ardent de l’avènement du Christ Seigneur : « Nous attendons ta venue dans la gloire ! » (anamnèse ; cf. 1Co 11,26).

En d’autres termes, l’histoire a un sens, elle orientée vers un but. Le temps de l’Église – cette période de l’histoire du salut qui court entre la Résurrection du Seigneur et sa Parousie glorieuse – est semblable à un grand « Avent »[4]. Il ne se clôt pas sur lui-même : il est ouvert sur un avenir, qui vient vers nous et vers lequel nous marchons irréversiblement. Et ce terme n’est pas anonyme. Comme dans les mosaïques byzantines, l’avenir est un visage personnel : il s’agit du visage lumineux et rayonnant du Christ Ressuscité, en qui nous est offerte la communion bienheureuse avec le Père et avec les autres.

Le cadre général de notre réflexion ainsi planté, nous voudrions, dans les quelques lignes qui suivent, mettre brièvement en lumière non seulement les racines juives de cette attente de la fin, mais aussi et surtout ses résonances spécifiquement chrétiennes.

 

L’attente messianique dans le judaïsme

Au gré des événements qui jalonnent l’histoire du peuple d’Israël, émerge peu à peu l’idée que Dieu suscitera à la fin des temps un « Messie »[5]. L’avènement de ce Messie inaugurera alors le temps de la plénitude du salut, l’instauration définitive du Royaume de Dieu : Israël ne sera plus inquiété par ses ennemis, les pauvres seront comblés, les malades seront guéris, les méchants seront écartés, les justes vivront en paix selon la Loi, et le Dieu d’Israël sera reconnu et adoré par toutes les nations. Le livre d’Isaïe dépeint admirablement cette ère messianique de justice et de paix à venir :

Il arrivera dans l’avenir que la montagne de la Maison du Seigneur sera établie au sommet des montagnes et dominera sur les collines. Toutes les nations y afflueront. Des peuples nombreux se mettront en marche et diront : « Venez, montons à la montagne du Seigneur, à la Maison du Dieu de Jacob. Il nous montrera ses chemins et nous marcherons sur ses routes ». Oui, c’est de Sion que vient l’instruction (tora) et de Jérusalem la parole du Seigneur. Il sera juge entre les nations, l’arbitre de peuples nombreux. Martelant leurs épées, ils en feront des socs, de leurs lances ils feront des serpes. On ne brandira plus l’épée nation contre nation, on n’apprendra plus à se battre (Is 2,2-4).

Selon les époques et les courants religieux, la figure de ce Messie Sauveur prendra des contours différents : Messie royal (de la lignée davidique), sacerdotal ou encore prophétique. Par ailleurs, ce Messie qui doit venir est conçu généralement comme un être humain, d’origine terrestre[6], mais parfois aussi comme une figure angélique, céleste et transcendante (cf. l’énigmatique « Fils de l’Homme » en Dn 7). À vrai dire, la littérature juive ne véhicule pas une conception unifiée et bien définie du Messie, pas plus que de ses pouvoirs et des signes précurseurs de sa manifestation. Toutefois, en dépit de cette pluralité de modèles, l’attente même d’un Messie est, quant à elle, unanimement partagée, au point d’investir progressivement tous les aspects de la vie juive. En témoignent d’ailleurs les prières liturgiques et les bénédictions, où cette espérance, ce désir de Celui qui doit venir s’exprime clairement.

Au premier siècle, ce pluralisme messianique est très large et l’attente particulièrement fébrile. Ainsi, les zélotes espèrent un Messie national, politique, qui bouterait l’occupant romain par la force et la violence, tandis que les communautés qumrâniennes (esséniens) attendent ardemment un double Messie, à la fois grand-prêtre et monarque, qui opérerait une purification sévère : il détruirait le mal et les pécheurs, en vue d’édifier la communauté sainte des derniers temps. Cette impatience messianique trouve de nombreux échos dans la littérature intertestamentaire. Par exemple, dans les Psaumes de Salomon, on lit cette invocation :

Regarde, Seigneur, et suscite-leur leur roi, fils de David, au moment que tu sais, ô Dieu, pour qu’il règne sur Israël ton serviteur ! Et ceins-le de force pour qu’il brise les princes injustes, qu’il purifie Jérusalem des nations qui la foulent et la ruinent ! Qu’il chasse, par la sagesse et la justice, les pécheurs de l’héritage ! Qu’il écrase l’orgueil du pécheur comme vase de potier ! Qu’il brise d’un sceptre de fer toute leur assurance ! Qu’il extermine les nations impies ! […] Alors il rassemblera un peuple saint qu’il conduira dans la justice. […] Il ne tolérera pas que l’iniquité demeure encore parmi eux, et l’homme familier du mal n’habitera plus avec eux. […] Point d’injustice durant ses jours parmi eux : ils sont tous saints, et leur roi est le Messie Seigneur. […] Que Dieu se hâte de prendre Israël en pitié ![7]

 

Jésus, Messie crucifié

C’est dans ce contexte que paraît Jésus de Nazareth. Sa conduite messianique, c’est-à-dire la manière selon laquelle il inaugure les temps du salut, ne laisse pas de surprendre, tant elle est originale. En effet, depuis les tentations au désert jusque sur la Croix, Jésus refuse clairement toute forme de messianisme temporel, de type triomphaliste. Jésus se présente au contraire comme un Messie « doux et humble de cœur » (Mt 11,29), un Messie qui « ne brise pas le roseau froissé » (Mt 12,20), qui s’assied à la table des pécheurs et offre à ceux-ci la miséricorde du Père (cf. Lc 5,29-32), un Messie qui ne s’impose pas mais qui mendie la confiance du cœur de l’homme, un Messie qui lave les pieds de ses disciples et « les aime jusqu’à l’extrême » (Jn 13,1s.), un Messie enfin qui pardonne à ses bourreaux, alors qu’il connaît le dénuement extrême de la Croix (cf. Lc 23,34).

À nos yeux de chair, cette messianité est déroutante, voire « scandaleuse »[8], en ce sens qu’elle ne répond pas vraiment aux attentes juives et aux modèles messianiques de l’époque, ni à nos projets de rédemption toujours trop humains[9]. Preuve en est que Jean le Précurseur, alors en prison, vacille dans sa foi : « Es-tu ‘Celui qui doit venir’ ou devons-nous en attendre un autre ? ». Et Jésus, après avoir indiqué les signes isaïens qui attestent la réalité du Règne de Dieu, d’ajouter de façon quelque peu mystérieuse : « Heureux celui qui ne tombera pas (litt. ne sera pas scandalisé) à cause de moi ! » (Mt 11,6 ; Lc 7,23). Ainsi donc, en dépit des signes de l’ère messianique (« les aveugles voient, les boiteux marchent,… »), l’inauguration du Règne n’est pas évidente : elle est une véritable « pierre d’achoppement » que seule la foi permet de surmonter. C’est en ce sens que S. Paul prêche un « Messie crucifié, scandale pour les Juifs et folie pour les païens » (1Co 1,23).

Dans cette perspective, que devient l’attente messianique ? Si, dans le judaïsme, l’attente d’un Messie et le désir d’un salut futur vont perdurer jusqu’à aujourd’hui[10], en revanche, dans la foi chrétienne, cette attente acquiert un sens nouveau et spécifique, dès lors que nous croyons qu’en Jésus-Christ, mort et ressuscité, les espérances prophétiques sont désormais accomplies. Aussi est-ce à la lumière de cet accomplissement définitif que l’attente chrétienne de la Parousie doit être réinterprétée. C’est ce que nous voudrions maintenant creuser.

L’attente de la Parousie dans le christianisme

Par l’Incarnation et la Pâque du Fils de Dieu, le Règne eschatologique de Dieu a fait irruption dans notre histoire ; l’ère messianique du salut et de la grâce est désormais inaugurée : « Le temps est accompli, le Règne de Dieu s’est approché »[11]. Autrement dit, une réalité nouvelle est là ; la victoire sur la mort est irréversiblement acquise ; l’Esprit-Saint a déjà été répandu dans les cœurs (cf. Rm 5,5) et il ne cesse de constituer l’Église, « germe et commencement du Royaume » (LG 5). En un mot, nous sommes dans les « derniers temps »[12]. L’exégète R. Schnackenburg explique :

Le temps de l’accomplissement eschatologique est là, et le Royaume de Dieu en gloire est proche ; tous deux sont des faits par rapport auxquels on ne saurait revenir en arrière ; depuis la venue de Jésus, ils correspondent à une « situation » fermement établie. Ce qui continue à partir de là à se réaliser prend place, certes, à l’intérieur de la réalité spatio-temporelle de ce monde, les hommes en font l’expérience dans l’histoire, dans le « cours » du temps. Mais cela n’en demeure pas moins entièrement sous le signe ineffaçable de la réalité salvifique inaugurée par Jésus[13].

En même temps, il faut dire que le Règne de Dieu demeure une réalité encore future, qu’il n’est pas encore pleinement manifeste. De toute évidence, le mal, tant physique que moral, continue à défigurer nos existences et notre monde. Certes, il nous incombe de combattre activement ces réalités maléfiques, de faire reculer l’injustice, la haine, la souffrance, la mort, dans la mesure de nos possibilités. Toutefois, la gloire de Dieu et de ses enfants demeure provisoirement voilée et différée : elle attend encore d’être pleinement révélée (cf. Rm 8,18s. ; Col 3,1-4 ; 1Jn 3,2 ; etc.).

Ainsi donc, l’eschatologie chrétienne est traversée par une tension, par une flèche (A. Gesché) : il s’agit d’affirmer que le salut est une réalité à la fois présente et future, que le Royaume est « déjà-là et pas encore »[14]. À l’aide d’images, S. Paul a tenté d’illustrer ce paradoxe sotériologique, caractéristique de l’entre-temps de l’Église : le temps présent est semblable à un « enfantement » (Rm 8,22), à une « aurore » (cf. Rm 13,11-12) ; et si nous possédons déjà l’Esprit, ce n’en sont encore que les « prémices » (Rm 8,23), les « arrhes » (2Co 1,22 ; 5,5 ; Ép 1,14). En résumé, l’accomplissement du salut messianique est inchoatif : il est déjà donné, il a réellement commencé, mais une attente, un désir d’achèvement persiste en son sein. Ce désir ardent trouve un écho notamment dans la demande du Notre Père (« que ton règne vienne ! »), ou encore dans le vibrant « Maranatha ! » des premiers chrétiens[15].

À ce stade-ci de notre réflexion théologique, une question de fond ne peut manquer de surgir : pourquoi Dieu a-t-il choisi de sauver le monde en deux « étapes » ? Pourquoi la première Parousie du Messie n’a-t-elle pas signé immédiatement la fin du cours de l’histoire du salut et l’instauration plénière et visible du Royaume, et ce en conformité avec l’attente messianique juive ? Quel est la signification théologique de cet intervalle ecclésial, de ce « Zwischenzeit » ? Pourquoi ce délai de la gloire eschatologique, délai qui s’accompagne en contrepartie d’un ultime sursis pour les puissances du mal, alors que la victoire pascale a déjà été remportée? En un mot, pourquoi l’accomplissement du salut en Jésus-Christ comporte-t-il en lui-même, structurellement, la nécessité d’une attente ? Quel est au fond le sens théologique de cette attente[16]?

La question de la justification du délai de la Parousie est complexe, d’autant plus qu’elle est inséparable d’une réflexion sur la toute-puissance de Dieu et sur son apparent « silence » devant le mal (permission divine du mal). Dans le cadre de cet article, on comprendra que nous ne puissions traiter tout cela en détail[17]. Nous voudrions toutefois suggérer une piste herméneutique, à la lumière de ce que nous avons dit sur la messianité de Jésus.

À la différence de tous les messies politiques, Jésus est un Messie humble et discret, qui refuse tout agir fracassant. Il vainc le péché, le repli, le mal, non par la force ou par la violence, mais par la douceur et la miséricorde[18]. Au cours de sa Passion, il garde « le silence le plus patient », permettant ainsi aux méchants de s’amender[19]. En un mot, la persuasion est la seule « arme », la seule puissance qui convienne au Fils de Dieu pour instaurer son Règne et pour venir à bout de toutes nos résistances : Dieu a envoyé son Fils chez les hommes « pour les sauver par la persuasion, non par la violence, car il n’y a pas de violence en Dieu »[20].

Le temps de l’Église ne trouve-t-il dès lors pas sa justification ultime dans cette manière divine de vaincre le mal ? N’est-ce pas au fond le même « silence patient », la même lenteur à la colère, la même persuasion qui se manifeste ? Et pour persuader l’humanité tout entière, il faut du temps ! Autrement dit, l’intérim ecclésial est un sursis de grâce sans cesse accordé par le Seigneur longanime. En effet, intronisé Messie par la résurrection, Jésus ne change point le sens et l’exercice de sa messianité : il attend patiemment que l’humanité tout entière[21] s’ouvre au don de son amour, à la grâce du salut ; il espère la conversion du cœur de l’homme pécheur, son « oui » confiant, lequel doit bien entendu se traduire par un agir conséquent. Le Règne de Dieu ne s’impose pas par la force : déjà donné, il incombe maintenant à tout homme de l’accueillir sans plus attendre. « Dieu t’a créé sans toi, mais il ne te sauvera pas sans toi »[22]. Telle est d’ailleurs en substance l’argumentaire de l’auteur de la Seconde lettre de Pierre (écrite vers 125) :

Dans les derniers jours viendront des sceptiques moqueurs menés par leurs passions personnelles qui diront : « Où en est la promesse de son avènement [parousiva] ? Car depuis que les pères sont morts, tout demeure dans le même état qu’au début de la création. » […] Il y a une chose en tout cas, mes amis, que vous ne devez pas oublier : pour le Seigneur un seul jour est comme mille ans et mille ans comme un jour. Le Seigneur ne tarde pas à tenir sa promesse, alors que certains prétendent qu’il a du retard, mais il fait preuve de patience envers vous, ne voulant pas que quelques-uns périssent mais que tous parviennent à la conversion. […] C’est pourquoi, mes amis, dans cette attente, faites effort pour qu’il vous trouve dans la paix, nets et irréprochables. Et dites-vous bien que la longue patience du Seigneur, c’est votre salut[23] !

Dans cette optique, on comprend que le soi-disant « retard » de la Parousie doit être imputé non pas à Dieu, mais aux hommes : c’est la lenteur de la réponse de l’humanité qui, d’une certaine manière, « paralyse » la manifestation plénière du Royaume.

Sous peine donc de rendre vaine la longue patience du Seigneur, sous peine de décevoir son grand espoir eschatologique  de sauver tous les hommes, convertissons-nous donc sans tarder ! Toute l’activité pastorale, qui occupe le temps de l’Église, trouve d’ailleurs là son sens ultime : l’annonce inlassable de l’Évangile et la célébration des sacrements veulent susciter notre réponse de foi et d’amour, élargir notre cœur, creuser notre désir de Dieu, et ainsi « hâter » la venue eschatologique des cieux nouveaux et de la terre nouvelle (cf. 2P 3,12-13 ; Ac 3,19-21). Teilhard de Chardin écrit en ce sens : « le Seigneur ne viendra vite que si nous l’attendons beaucoup. C’est une accumulation de désirs qui doit faire éclater la Parousie »[24].

En conclusion, on aura compris que si le temps de l’Église est bel et bien un temps d’attente, cette attente ne consiste pas en un simple prolongement de l’attente messianique que l’on trouvait dans le judaïsme. Car, au fond, avec l’avènement charnel du Fils de Dieu, tout est déjà accompli : Dieu est venu habiter chez les hommes, son Amour est dévoilé, il a fait le premier pas (cf. 1Jn 4,19), il nous a sauvés. Encore faut-il que nous tous consentions à habiter avec lui : c’est ce que Dieu attend et espère de nous !

 

abbé Joël Spronck

Séminaire Épiscopal,

rue des Prémontrés, 40

B – 4000 LIÈGE

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Notes



[1] Cf. 1Apologie, 52,3 ; Dialogue avec Tryphon, 14,8 ; 32,2 ; 40,4 ; 49,2 ; 52,1.4 ; 110,2 ; 111,1 ; 121,3 ; etc.

[2] À titre d’exemples, cf. Irénée, Contre les hérésies, IV,22,1-2 ; 33,1 ; Tertullien, Contre Marcion, III,7 ; Cyprien, La vertu de patience, 23 ; Origène, Contre Celse, I,56 ; II,29 ; Cyrille de Jérusalem, Catéchèses, XV,1.

[3] Ainsi, lorsqu’il écrit ses premières lettres, S. Paul pense encore qu’il connaîtra la Parousie de son vivant (cf. 1Th 4,13-18 ; 1Co 15,51-52). Ce sentiment d’imminence provoque même un certain « désordre » rapporté en 2Th 3,6-12 : persuadés que « le Jour du Seigneur est arrivé » (2,2), certains chrétiens en viennent à se désengager du monde, à abandonner leur travail, jugé dès lors inutile. Cette fièvre apocalyptique a parfois resurgi au cours de l’histoire de l’Église. Pour éviter toute méprise à ce sujet, précisons d’emblée qu’à la différence des sectes, jamais Jésus ni le N.T. ne donne d’indication chronologique. En effet, le Père est le maître souverain de l’histoire et il lui appartient seul de fixer et de connaître la date de la fin (cf. Mc 13,32 ; Ac 1,7 ; 1Th 5,1-2). L’important est d’être prêt à tout moment, de veiller dans la foi. Sur la gestion de l’espérance chrétienne, cf. Ch. Perrot – al., Le retour du Christ, Publications des Facultés universitaires Saint-Louis 31, Bruxelles, 1983.

[4] Cf. J. Daniélou, Le mystère de l’Avent, Paris, Seuil, 1948, 127.135-136.

[5] Rappelons que le titre « messie » vient de l’hébreu mâshîah (h'yvim;) et signifie : « celui qui a reçu l’onction, l’Oint ». En grec, messie sera traduit par christos (cristov§). Dans le Premier Testament, les rois, les prêtres, les prophètes étaient oints, consacrés par l’onction (cf. Aaron : Ex 29,7 & 30,22s. ; Lv 4,3 & 8,12 ; Saül : 1S 10,1 ; David : 1S 16,13 ; Ps 2,2…). L’onction était la marque de la mission divine, dont ils étaient investis, au service du peuple.

[6] De nombreux individus furent d’ailleurs l’objet de telles espérances : p. ex. Zorobabel, à l’époque du retour de Babylone (cf. Ag 2,20-23) ; Bar Kokhba, chef de la révolte contre les Romains au 2es. pcn ; etc.

[7] XVII, 21-24.26.27.32.45. Cité d’après A. Dupont-Sommer – M. Philonenko (ed.), La Bible. Écrits intertestamentaires, La Pléiade, Paris, Gallimard, 1999, p. 987-990. D’origine essénienne, les Psaumes de Salomon ont probablement été rédigés après 37 acn.

[8] Ce terme doit évidemment être entendu en son sens biblique de « pierre d’achoppement » pour la foi. Sur ce côté « scandaleux » de la messianité de Jésus, cf. Mt 11,6 ; Mt 13,57 ; Mt 26,31.33 ; Jn 6,61 ; 1Co 1,23 ; Ga 5,11 ; etc.

[9] Au regard de l’attente populaire, observe Ch. Duquoc, la vie de Jésus apparaît comme « non-messianique ». Et pourtant, « c’est comme “non-messie” que Jésus accomplit paradoxalement les espérances prophétiques » (« Messianisme », in Catholicisme, IX, 24 ; plus largement, cf. Christologie. Essai dogmatique. II. Le Messie, Cogitatio Fidei 67, Paris, Cerf, 1974, 263-280).

[10] Il faudrait sans doute nuancer. En effet, de nos jours, cette attente connaît une nouvelle herméneutique : dans certains courants modernes du judaïsme, le concept même d’un Messie humain est rejeté, tandis que l’espérance messianique est réinterprétée dans le sens d’un progrès vers une condition de perfection morale et religieuse, d’un désir sans cesse renouvelé d’un monde meilleur fait de justice, de fraternité et de paix. Dans cette optique, on le devine, cette ère messianique n’est pas à attendre béatement ; elle est plutôt à construire et il incombe à chacun d’apporter sa pierre à l’édifice, en suivant la Loi notamment.

[11] Mc 1,15. C’est par ces mots que s’ouvre la prédication de Jésus. Notons que les deux verbes du verset sont employés au parfait, ce qui, grammaticalement, exprime la durée de l’action accomplie. Cela signifie donc qu’avec l’avènement de Jésus, le kairov§, c’est-à-dire le temps favorable du salut, de la grâce, est désormais accompli (c’est un fait passé) et, en même temps, que cette plénitude continue à marquer le temps présent de l’Église (durée de l’accomplissement). Dans la même ligne, cf. Lc 4,21 : « Aujourd’hui, cette écriture est accomplie pour vous qui l’entendez » (prédication inaugurale de Jésus à Nazareth).

[12] Cf. Ac 2,17 ; 1P 1,20 ; Hé 1,2 ; 9,26 ; etc. Les premiers chrétiens avaient une vive conscience du caractère « eschatologique » du temps de l’Église.

[13] Règne et Royaume de Dieu. Essai de théologie biblique, Paris, Orante, 1965, 179.

[14] Il revient essentiellement au théologien luthérien O. Cullmann (1902-1999) d’avoir forgé cette formule aujourd’hui largement répandue (cf. Le salut dans l’histoire. L’existence chrétienne selon le Nouveau Testament, BTN, Paris-Neuchâtel, Delachaux & Niestlé, 1966, 167-186). Pour illustrer son propos, Cullmann prend la comparaison du Victory Day : « Dans une guerre, la bataille décisive peut avoir été livrée au cours de l’une des premières phases de la campagne, et pourtant les hostilités se poursuivent encore longtemps. Bien que la portée décisive de cette bataille ne soit peut-être pas reconnue par tout le monde, elle signifie néanmoins déjà la victoire. Pourtant la guerre doit être poursuivie pendant un temps indéfini jusqu’au Victory Day. Telle est exactement la situation où le Nouveau Testament […] a la conviction de se trouver : la révélation est précisément le fait de proclamer que la mort sur la croix, suivie de la résurrection, est la bataille décisive déjà gagnée » (Christ et le temps. Temps et histoire dans le christianisme primitif, BTN, Paris-Neuchâtel, Delachaux & Niestlé, 19652, 59). K. Barth propose une image similaire, celle d’une partie d’échecs : « il en est comme dans une partie d’échecs où l’adversaire déclaré “mat” n’est pas assez raisonnable pour le reconnaître et cherche encore, pendant quelques minutes, s’il ne pourrait pas s’en sortir. Tant que le joueur déjà battu ne se rend pas à la raison, la partie semble encore vouloir et pouvoir se poursuivre, le royaume des cieux semble n’être pas venu, ou s’être seulement approché » (Dogmatique, II/2**, Genève, Labor et Fides, 1953s., 186).

[15] Cf. 1Co 16,22 ; Ap 22,20 ; Didachè 10,6. À noter que, selon la coupe et la vocalisation que l’on opère, l’aramaïsme « Maranatha » (at; an:r"m; ou at;a} wr"m;) peut signifier soit un impératif (« notre Seigneur, viens ! »), soit un indicatif passé (« notre Seigneur est venu »). Cette ambivalence permet ainsi d’épouser le paradoxe même de la venue eschatologique du Seigneur, à la fois passée et future.

[16] « Ma plus grande question théologique, confie A.-M. Léonard, est de savoir pourquoi, depuis l’inauguration de ce monde nouveau le jour de Pâques, le Seigneur a encore laissé courir les vingt siècles de notre histoire chrétienne avec, parmi tant de splendeurs, un tel cortège de maux et de souffrances parfois insupportables. Pourquoi ce délai de près de deux mille ans déjà ? Il est difficile de répondre à la place du Seigneur. Ces vingt siècles après la résurrection de Jésus sont, en tout cas, le temps de la patience de Dieu » (Dieu exauce-t-il nos prières ?, Paris, Emmanuel, 2003, 59 ; cf. aussi Les raisons de croire, Paris, Communio / Fayard, 1987, 230s.).

[17] Pour un approfondissement de la question, nous nous permettons de renvoyer à notre ouvrage : La patience de Dieu. Justifications théologiques du délai de la Parousie, Tesi Gregoriana 160, Roma, Ed. Pontificia Università Gregoriana, 2008.

[18] Benoît XVI disait en ce sens : « Le Seigneur a vaincu sur la Croix. Il n’a pas vaincu par un empire nouveau, par une force plus puissante que les autres et capable de les détruire. Il a vaincu non pas d’une manière humaine, comme nous l’avions imaginé, par un empire plus fort que l’autre. Il a vaincu par un amour capable d’aller jusqu’à la mort. C’est la nouvelle manière de vaincre de Dieu : à la violence, il n’oppose pas une violence plus forte. À la violence, il oppose précisé­ment le contraire : l’amour jusqu’au bout, sa Croix. C’est la manière humble de vaincre de Dieu : par son amour – et ce n’est qu’ainsi que c’est possible – il met une limite à la violence. C’est une manière de vaincre qui nous sem­ble très lente, mais c’est la véritable manière de vaincre le mal, de vaincre la violence, et nous devons faire confiance à cette manière divine de vain­cre. Faire confiance veut dire entrer activement dans cet amour divin, parti­ciper à ce travail de pacification » (Homélie à Rhêmes Saint-Georges (23/07/2006), in La documentation catholique 103 (2006) 783-784).  

[19] Cyprien de Carthage, La vertu de patience, 23. Sur ce mutisme du Verbe divin pendant sa Passion, cf. aussi H.U. von Balthasar, De l’intégration. Aspects d’une théologie de l’histoire, Bruges, 1970, 286-291.

[20] À Diognète, 7,4. Sur ce thème, cf. aussi Irénée de Lyon, Contre les hérésies, V,1,1 ; Cyprien de Carthage, La vertu de patience, 6 ; etc. Au 20es., l’idée réapparaît dans le courant de la Process Theology initié par A.N. Whitehead (cf.  Process and Reality, New York, 1929, 526 ; Adventures of Ideas, New York, 1933, 69-84).

[21] En effet, Dieu espère le salut de tous (cf. 2P 3,9 ; 1Tm 2,4). Sans verser dans les dérives apocatastatiques, cet espoir eschatologique, qui est celui du Christ lui-même (cf. H. de Lubac, Catholicisme, ch. IV), doit aussi animer le cœur des croyants, comme l’a d’ailleurs rappelé avec force H. U. von Balthasar à la fin de sa vie (Espérer pour tous, Paris, DDB, 1987 ; L’enfer. Une question, Paris, DDB, 1988, 59-68). Dans la même ligne, J. Daniélou écrivait : « L’espérance porte sur le salut de tous les hommes – et c’est seulement dans la mesure où je suis englobé en eux qu’elle porte sur moi. Notre espérance a essentiellement pour objet le nous » (Essai sur le mystère de l’histoire, Paris, Seuil, 1953, 340). À noter que dans son encyclique Spe salvi (2007), Benoît XVI souligne particulièrement cette dimension communautaire de l’espérance chrétienne, qui est toujours « espérance pour les autres » (n° 34 ; et aussi nos 13-14, 28).

[22] Augustin, Sermon 169,11,13 (PL 38, 923).

[23] 2P 3,3-15a. Dans la même ligne, cf. la parabole du figuier stérile (Lc 13,6-9) : dans sa longanimité, le Maître accorde au figuier un délai de grâce, dans l’espoir qu’il porte enfin du fruit.

[24] Le milieu divin. Essai de vie intérieure, Paris, Seuil, 1957, 197.


 

 



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